[Antichrist] Un traumat émotionnel, une claque intellectuelle : jouissif !
[Cet article est sujet à quelques spoils.]
Antichrist. Ce nom résonne déjà comme une mise en garde. “Attention mes amis, j’ai la prétention d’être atypique, de bouleverser vos petites vies et de vous mettre une grande claque dans la gueule.”
Et je peux vous dire que le pari est amplement réussi.
Ce film traite de ce qui effraie le plus l’être humain : sa propre nature, incontrôlable et inconnue, à travers un fond de christianisme sordide et noir. Dés le début, on nous met dans l’ambiance : le spectateur ne sera pas protégé, mais au contraire exposé à tout ce qu’il va endurer, complètement démuni.
Antichrist met à nu les thèmes qu’il explore, et en fait de même avec la façon qu’il a d’être mis en scène. Noir. Dément. Superbe. Et beau.
Premier choc : le prologue
D’un esthétique rarement atteint, le spectateur est mis dans la bain très rapidement, et se rend compte qu’il n’en ressortira pas de la même façon. Le tabous n’est pas de rigueur ; les scènes ne sont pas censurées : tout est cru, simplement exposé, réel. C’est cela qui frappe dés le début : la réalisation est brillante, le tout est esthétique, mais sans artifice. Nous touchons de très près l’essence de l’homme.
Cette essence est personnalisée une première fois par la relation sexuelle, le besoin de se reproduire, procurant un plaisir inégalé ou pouvant tuer une âme, transcendant tout ce qui existe. Deux êtres couchent ensemble, et dans la chambre d’à côté, un enfant de 3 ans se réveille, va voir sa mère en extase. Il retourne dans sa chambre, monte à la fenêtre, et tombe. Il meurt sur le coup, dans la neige, symbole de pureté. Ce sera le seul de tout le film.
Nous assistons au premier paradoxe que ce film propose : un couple fait l’amour, ce qui est le préambule de la vie, et se faisant, la mère, en jouissant, voit de ses propres yeux son fils mourir, sous un air de Haendel, complétant ce prologue filmé au ralenti. C’est un aspect sûrement désiré de le part de Lars Von Trier, dans sa volonté de tout englober, de ne pas séparer le bien du mal ; la vie de la mort. Un seul mot d’ordre : la nature humaine, avec toute la folie qu’elle va engendrer, sous des airs de romantisme absolu.
Deuxième choc : La trame de l’histoire
- Première instance de la sainte et cruelle trinité : la douleur.
La mère est effondrée, devant la mort se son unique enfant, et son mari, thérapeute, va essayer de l’aider en l’emmenant dans le lieu qui lui inspire le plus de peur : Eden, la forêt où elle passait ses étés avec son fils, à rédiger sa thèse. Le spectateur est mis devant la véritable douleur, sans artifice, et il sent qu’il est prêt à être aspiré dans une spirale destructrice, prémisse d’un choc sans précédent.
- Le deuil.
Une fois la douleur passée, la mère angoisse, commence à ressentir physiquement les dégâts de ce désespoir sans nom. Elle passe donc par le deuil, où l’on se rend compte de ce qui se passe, où l’on ne nie plus, où l’on reçoit donc de plein fouet toute l’ampleur d’une abominable réalité. La tension monte de plus en plus. Charlotte Gainsbourg est phénoménale dans le rôle de cette mère dévastée. Les scènes sont de plus en plus insupportables, rien n’est mis à l’écart : ni les cris puissants, stridents du désespoir ; ni scènes de passions où la mère essaie de trouver du réconfort ; ni celles, de plus en plus, de folie et de violence. Le tout est filmé avec une caméra presque immobile, décuplant donc le réalisme de ce que l’on voit, de ce que l’on vit.
- Le désespoir.
Après un passage rapide où la mère a passé une bonne nuit, est heureuse et se croit - malgré les réticences et la prudence de son mari - guérie, elle plonge véritablement dans la folie, qui sera son point de non retour. Son mari a commis une grave erreur : il l’a lui-même psychanalysée, et s’est donc voilé la face, en essayant de trouver le problème partout sauf à l’intérieur même de cette femme que l’on croit maintenant possédée, à l’image des sorcières du XVIe siècle, sujet de sa thèse. Elle ne se contrôle plus, et devient un véritable démon, qui, on le comprend, serait la véritable nature de l’être humain... ou plus précisément de la femme.
Ce démon, on le voit, possède entièrement la femme qui subit. Le plaisir a une dimension presque divine, et retrace tout le film : c'est quand elle prend du plaisir qu'elle voit son fils mourir. Depuis cet instant, le plaisir a une double facette : elle en a besoin, mais culpabilise. C'est pourquoi elle demande à son mari de la battre lors de leurs ébats ; c'est pourquoi elle se coupe le clitoris : ultime douleur la forçant à renoncer au plaisir, au désir. Cet acte plus que violent est à l'image paradoxale de ce film brillant.
Le réalisateur prouve à cet instant que l’enfer, le véritable 9è cercle de Dante se situe dans notre âme ; que nous essayons par tous les moyens de nous socialiser, de refouler cette nature impitoyable, mais qu’un événement peut raviver, faisant ressortir l’être immonde, se substituant à l’individu factice que nous étions, et cela très rapidement. Car le mari se rend compte que sa femme est emprise depuis déjà longtemps à cette folie avant inconsciente, et que le choix de sa thèse n’était pas anodin. Il se rend compte que sa propre femme inversait inconsciemment les chaussures de son enfant, lui imposant une douleur intense, causant une malformation du pied, - et nous pouvons le deviner - le faisant perdre l’équilibre au début du film, le menant à la mort. La nuance est donc présente : la folie de l’être humain n’apparaît pas par magie, en cet instant : elle est bel et bien lattante, se révélant quand le conscient devient trop faible.
Troisième choc : l’épilogue
Le mari tue sa femme pour sauver sa propre vie, et malgré des hallucinations, il réussit à garder le contrôle. Misogynie (ce meurtre sous-entend l'impossibilité pour l'homme de sauver la femme, irrécupérable), simple coïncidence, ou volonté du réalisateur de prouver la différence entre la faiblesse de la femme, biblique, emprise à la folie ; et la force de l’homme, posé, calme, pragmatique. Les allusions au mythe et à la religion catholique ne sont encore une fois pas anodines : Eve et le pêché originel sont omniprésents ; Eden, le nom de la forêt ; le sujet de thèse. Tout est également coupé en trois, et : 3 parties ; 3 sous parties à l’intérieur de l’histoire et 3 étapes, donc, par lesquelles passe la mère ; les 3 mendiants, superstition structurant le film et qui dit qu’une fois réunis, quelqu’un doit mourir : ce sera le cas pour l’enfant et la mère. Simple superstition néanmoins car à chaque décès, une explication rationnelle peut exister.
Ce film est horrible. Les scènes sont montrées avec un réalisme peu commun, où rien n’est épargné au spectateur. Les thèmes abordés nous font tous peurs, et nous ont tous interpellés au moins une fois, mais nous les avons évidemment refoulés. Ce film les ressort et c’est en cela qu’il est dérangeant. Les critiques diront qu’il veut choquer sans véritable fond ; permettez-moi de vous dire que ceux-là n’ont pas compris, et j’espère vous l’avoir démontré. Car au-delà de ces scènes insupportables, Antichrist est un film profond, tellement profond que je n’ai pas réussi à tout dire, que je n’ai pas réussi à structurer l’article comme je le voulais, et que je n’ai pas dû saisir tout ce que le film offrait.
Au-delà de ces scènes insupportables - et pour finir l’article -, ce film, je le disais, est beau. Il l’est par sa réalisation, par la justesse des acteurs (Willem Dafoe est tout aussi remarquable, seul soutien d’un spectateur recevant de plein fouet la folie et la perversité de Charlotte Gainsbourg). Il l’est, enfin et surtout, par la formidable preuve d’amour dont fait part le mari, en essayant jusqu’au bout de sauver sa femme, au péril de sa santé mentale, et de sa vie.